Rapport sur les dépenses fiscales et budgétaires en faveur du logement 


38,2 milliards d’euros (1) : c’est le montant que représente la dépense publique en faveur du logement en France en 2021. Cette somme correspond à 1,3 % du PIB national, contre une moyenne de près de 0,6 % dans l’Union européenne selon les données d’Eurostat. 

Si aucune mesure d’économie n’est réalisée, le niveau de dépenses publiques en faveur du logement, contenu grâce aux mesures portées ces dernières années, risque à nouveau de croître alors qu’un effort budgétaire massif est attendu pour la rénovation énergétique des logements du parc privé comme du parc social. 

Dans ce contexte, il n’est pas illégitime de s’interroger sur la manière dont l’argent public est dépensé. La crise actuelle du secteur, qui est sensible pour les Français comme pour la filière, ne doit néanmoins pas conduire à prolonger des dispositifs qui n’ont pas démontré leur impact. 

Des efforts ont déjà été consentis ces dernières années, notamment avec la réduction de loyer de solidarité (RLS) assumée par les bailleurs sociaux ou la contemporanéisation des aides personnelles au logement (APL). Toutefois, des marges de progrès existent pour limiter la hausse incontrôlée des dépenses publiques en faveur du logement : ne pas revenir sur la fin du dispositif « Pinel », harmoniser le régime fiscal des locations meublées et des locations nues, recentrer le prêt à taux zéro (PTZ), dont les mérites doivent être nuancés, dans le neuf en zone tendue afin de l’adapter à l’objectif de lutte contre l’artificialisation des sols, ou encore supprimer l’exonération d’impôt dont bénéficient les bailleurs sociaux indépendamment de leurs besoins réels.

En outre, le soutien au logement locatif intermédiaire institutionnel (LLI),sera renforcé dans les prochains mois avec des mesures telles que l’élargissement des communes éligibles et l’assouplissement des contraintes réglementaires limitant son développement. Le développement du LLI permettra de proposer une offre de logements abordables, notamment au bénéfice des travailleurs de première ligne,tout en assurant un meilleur pilotage de l’offre sur le territoire et en maîtrisant la dépense publique bien davantage qu’avec des dépenses fiscales pléthoriques en faveur de l’investissement locatif des particuliers.

Efficience et efficacité doivent aujourd’hui être les maîtres mots en matière de politique du logement.


La recherche de l’efficience doit conduire à encourager ce qui fonctionne. Des dispositifs locaux, comme les opérations programmées d’amélioration de l’habitat ou les programmes d’intérêt général, ont fait leur preuve en matière de soutien à la rénovation énergétique comme de lutte contre l’habitat indigne :encourageons les collectivités à s’emparer des outils qui existent et donnent satisfaction.

Rendre plus efficace la politique publique du logement, c’est aussi s’assurer que l’argent dépensé va bien aux personnes qui en ont le plus besoin :les organismes de logement social doivent aujourd’hui donner une vraie priorité aux ménages les plus modestes et le parcours résidentiel doit retrouver sa fluidité en incitant davantage les ménages aisés à quitter le parc social. Les parents aisés
d’étudiants bénéficiaires d’APL bénéficient d’un double avantage qui n’est pas justifié sur le plan socio-économique : un choix clair s’impose.Il convient également d’interroger les objectifs de la politique publique en faveur du logement, trop longtemps réduite à la construction neuve : rénover et remettre sur le marché de la vente ou de la location les logements vacants constituent désormais de nouvelles priorités de l’action publique.


Enfin, le réflexe de l’appel à la dépense publique ne réglera pas les problèmes multiples du secteur du logement.


Avant de dépenser davantage, assurons-nous que les dispositifs mis en oeuvre sont utiles. En effet, la politique publique en faveur du logement est bien trop peu évaluée. C’est un préalable indispensable : il faut encourager la recherche et améliorer l’accès aux données pertinentes, notamment fiscales. Avant de dépenser davantage, assurons-nous également quel’environnement réglementaire ne conduit à une hausse permanente du coût du logement. Le temps d’une pause réglementaire, longtemps espéré, est venu.


Avant de dépenser davantage, assurons-nous enfin que le secteur privé est sollicité à la mesure des objectifs poursuivis car l’argent public seul ne pourra pas tout : l’élargissement du prêt avance rénovation, la création d’une grande banque de
place dédiée au financement de la rénovation énergétique et la vente en bloc de logements sociaux à des institutionnels sont des pistes qui doivent être sérieusement envisagées.

Conclusion de Charles de Courson


Alors que le secteur du logement mobilise un niveau important d’argent public, la politique publique menée ne fait pas exception à une certaine tradition française : les données ne sont pas toujours fiables, les évaluations sont lacunaires,le pilotage des dépenses fiscales est insuffisant. S’il faut éviter tout catastrophisme,la hausse du coût du logement étant constatée partout en Europe, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des investissements consentis.

Il faut donc changer de méthode : il n’est plus possible de déterminer une politique du logement unique depuis Paris. Les fondements d’une territorialisation de la politique du logement sont posés et il convient désormais d’approfondir cette approche, par exemple en confiant aux collectivités territoriales et aux représentants de l’État la possibilité de moduler certains paramètres de la politique du logement comme la fiscalité, le bénéfice des aides, les plafonds et seuils, ou encore le zonage. Accumuler les normes sans réfléchir à leurs conséquences sur le coût du foncier ou de la construction, dont le renchérissement met inévitablement sous tension la dépense publique, ne permettra pas de résoudre la crise du logement.

En outre, quand la dépense publique est contrainte, il faut être attentif à ce qu’elle soit ciblée vers ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire en priorité les ménages les plus modestes : alors que l’accès au logement social est de plus en plus difficile, il n’est pas acceptable que les ménages les plus aisés bénéficient d’un logement dont le loyer est sensiblement inférieur à celui du marché. Il convient
donc d’abaisser les seuils de déclenchement du supplément de loyer de solidarité (SLS) et de sortie obligatoire du parc. Les ménages les plus favorisés doivent assumer un SLS correspondant à la différence entre les loyers de marché et les plafonds de loyer du parc social. Dans la continuité de ce besoin de mieux cibler la dépense publique, est-il pertinent d’allouer plusieurs dizaines de
millions d’euros au titre des aides personnelles au logement (APL) des étudiants dont les parents bénéficient de revenus confortables ? Il faut fixer une alternative claire : soit les parents bénéficient de l’avantage fiscal (demi-part ou part fiscale entière) lié au rattachement de leur enfant à leur foyer fiscal ou de la déduction de pension alimentaire, soit ce dernier bénéficie des APL. Cumuler ces deux mesures n’est pas acceptable.

Ceux qui en ont le plus besoin, ce sont aussi les acteurs du logement qui doivent investir : supprimons l’exonération d’impôt sur les sociétés dont bénéficient les bailleurs sociaux et compensons-la par un crédit d’impôt qui soutiendra directement les organismes HLM qui construisent et rénoventCette justice fiscale passera également par la mise en oeuvre rapide de la refonte de la fiscalité propre des meublés de tourisme. Au-delà de ces mesures ponctuelles, il convient d’interroger plus fondamentalement les objectifs de la politique publique en faveur du logement.

À pas feutrés, les pouvoirs publics abandonnent toute ambition en vue de soutenir l’accession sociale à la propriété : la fin des APL « accession » depuis 2018 illustre une politique à rebours des besoins des ménages modestes,dont la part parmi les primo-accédants décroît sensiblement. Il est à craindre que le recentrage annoncé du PTZ pour le neuf dans les seules zones denses, justifié
par la nécessité de contenir l’augmentation de la dépense publique, empêche l’accès à la propriété de nombreux ménages : près de 60 % des PTZ accordés en 2022 l’étaient en zone détendue (B2 et C). La technostructure considère que la propriété peut être un frein pour l’emploi et la mobilité des salariés. En réalité,comme exposé dans le présent rapport, les travaux des économistes n’ont
jamais réussi à démontrer sérieusement cette hypothèse.
De surcroît, la portée de la politique du logement dépasse ses seuls aspects économiques : le statut de locataire ne doit pas être le seul horizon envisageable pour les ménages modestes,
alors que pour beaucoup d’entre eux la propriété représente un facteur d’insertion sociale et d’émancipation.

Enfin, veut-on encore encourager l’investissement locatif des particuliers ? La priorité donnée au logement locatif institutionnel est pertinente, mais elle ne remplacera pas l’investissement dans la pierre des particuliers. S’il ne faut surtout pas revenir sur la suppression de dépenses fiscales inutiles et illisibles, il convient de s’interroger sur le poids de la fiscalité qui s’applique sur les locations
nues de longue durée.


La mission d’information est composée de : M. DANIEL LABARONNE, rapporteur, M. CHARLES DE COURSON, rapporteur ; MM. MICKAËL BOULOUX, DOMINIQUE DA SILVA, JOËL GIRAUD, FRANÇOIS JOLIVET, MOHAMED LAQHILA, MME KARINE
LEBON, MM. MARC LE FUR, PHILIPPE LOTTIAUX, SÉBASTIEN ROME, et MME EVA SAS, membres.


(1) Si les dépenses budgétaires représentent 23,6 milliards d’euros, composées à plus de 85 % de prestations sociales, le poids de dépenses fiscales est de 13,7 milliards d’euros et illustre l’ingéniosité française en matière de dérogations à la norme fiscale. Le poids des prélèvements obligatoires portant sur le secteur du logement, d’environ 90 milliards d’euros, ne saurait justifier à lui seul un tel niveau de dépenses publiques.



Les APL : un dispositif incontournable dont l’effet inflationniste interroge 

Les aides personnelles au logement (APL), qui atteignent en 2021 un montant de 15,7 milliards d’euros, représentent plus de 40 % des dépenses publiques en faveur du logement en France pour plus de 6 millions de ménages bénéficiaires.

En outre, les APL en faveur des étudiants représentent actuellement  une dépense de l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an, soit 9 % du total des dépenses d’APL.


le taux de propriétaires occupants, de 57,4 % en 2022, ne progresse plus depuis dix ans, alors qu’environ 80 % des Français sont ou souhaitent devenir propriétaires de leur logement