Logement : demande potentielle et besoins immédiats



Les politiques du logement ont pour principal objet de permettre à la population de se loger dans des conditions de confort satisfaisantes et au prix d’un effort financier compatible avec ses moyens. Une étape essentielle consiste donc à estimer les besoins, présents et à venir, en la matière.
La notion de besoin en logement a un caractère très fort, quasi-universel. Ceci s’explique par le fait que sans logement, il est quasi impossible de rester propre, de vivre des relations sociales normales, de fonder une famille, de se soigner, ... Il importe donc, d’abord de bien s’entendre sur ce que l’on entend par besoins, ensuite savoir comment les évaluer, et enfin choisir à quel niveau géographique le faire.
Doit-on fixer le nombre global de logements nécessaires au plan national à un horizon donné ou est-il plus pertinent de procéder à des évaluations par bassin d’habitat ?
La façon dont se pose la question a évolué pour tenir compte de l’amélioration globale des conditions de logement mais aussi de la différenciation accrue entre les territoires.
C’est à ces questions et aux différentes méthodes utilisées pour y répondre qu’est consacré ce document.

Parce qu’elle est sujet à de nombreuses polémiques, marquées par des antagonismes forts et des thèses contradictoires sur le manque ou le trop plein de logements en France, la notion de besoins mérite que l’on s’y intéresse.1 La demande potentielle de logements neufs, voire des besoins, à une indéniable utilité. La notion de besoin, qui appelle des précisions, a d’ailleurs un caractère très fort, quasi-universel, encore faut-il que sa définition et les hypothèses qui fondent l’exercice correspondent à la problématique du moment et fassent l’objet d’une réelle concertation. La première série d’interrogations relève du champ de la méthode. Doit-on ou non intégrer dans l’évaluation des besoins à venir simplement les flux à venir ou bien faut-il intégrer dans cette évaluation la correction des situations d’exclusion ou de mal logement ? L’INSEE à travers l’évaluation de la demande potentielle de logements neufs (notion qui a été substituée à celle de besoin) s’intéresse aux seuls flux de construction neuve nécessaires pour que, compte tenu de l’évolution de la démographie etc., la situation dans 10, 20, ou 30 ans soit, toutes choses égales par ailleurs, identique à celle qui prévaut aujourd’hui, y compris s’agissant de la proportion de ménages sans-abri. Reconnues comme valeur étalon, les estimations de l’INSEE font surtout l’objet de critiques relatives aux hypothèses retenues pour évaluer les différentes composantes de la demande potentielle. On peut citer sans souci d’exhaustivité la détermination du solde migratoire ou le niveau de la désaffectation nette. Pour l’heure, une demande potentielle de l’ordre de 330 000/an (+/- 20 000) fait l’objet d’un relatif consensus dès lors que les hypothèses retenues, en particulier pour le solde migratoire, s’avèrent en phase avec l’observation des flux réels. A l’inverse, la prise en compte du rattrapage du mal logement (apprécié en stock), option retenue notamment par la FAP dans son rapport annuel, conduit à augmenter de manière considérable l’évaluation des besoins (en d’autres termes, l’évaluation du rattrapage s’ajoute à l’évaluation de la demande potentielle). L’importance de l’ajout découle d’une part du choix de la durée de la période de rattrapage, d’autre part de la norme retenue pour définir ce qu’est le mal logement (pris ici en son sens large, i.e. en incluant les exclus du logement). Un rattrapage sur 10 ans plutôt que sur 20 ans équivaut à multiplier par deux le delta de besoins. Les controverses relatives au choix de la norme s’avèrent quant à elles inépuisables, mais surtout aussi lourdes de conséquences sur les évaluations. Les ménages ayant un taux d’effort élevé ou les ménages en situation de surpeuplement accentué et/ou modéré doivent-ils ou non être considérés en situation de besoin ? Pour être complet, il convient d’ajouter que certains exercices d’évaluation des besoins retiennent des hypothèses différentes de celles retenues par l’INSEE pour une même période, pour la partie correspondant à l'évaluation de la demande potentielle.

L’existence de ces deux approches, trop souvent confondues, qui débouchent sur des évaluations nettement différenciées, entretient un flou préjudiciable largement utilisé par les nombreux détracteurs de la notion même de besoins en logements. C’est pourquoi on ne peut que regretter l’absence d’exercices réguliers partagés d’évaluation a minima de la demande potentielle, appuyés sur une concertation large pour dégager des hypothèses faisant consensus. L’évaluation de la demande potentielle de logements retrouverait alors toute son utilité comme indicateur parmi d’autres pour définir une politique du logement en phase avec la réalité. La deuxième interrogation porte sur la pertinence du champ géographique de l’évaluation. Classiquement, depuis l’après seconde guerre mondiale, l’exercice s’effectuait au plan national. Depuis 20 ou 30 ans, les évolutions différenciées, tant au plan économique que démographique, entre les territoires, conduisent à remettre en cause ce type d’approche. Nombre de travaux et articles parlent de la France du trop-plein et de la France du vide, approche à l’évidence schématique mais non dénuée de fondement. La question ne serait donc plus tant de savoir combien de logements construire au plan national que de chercher où les construire ? Ce constat largement partagé a conduit l’État à créer un outil, qui se veut une méthode nationale de référence d’évaluation territorialisée des besoins. Ce dernier, dénommé OTELO, combine à la fois une approche en flux et une approche en stock. Il s’agit à l’évidence d’un acquis positif même si toutes les interrogations relatives aux hypothèses se retrouvent à l’identique de celles déjà mentionnées. S’y ajoute la question du champ géographique pertinent pour procéder à cet exercice. Le lien avec les politiques du logement prêche pour le choix de l’EPCI1 . La réalité des fonctionnements de marché, intégrant la question de mobilité et des choix résidentiels, milite pour le bassin d’emploi2. L’objectivité oblige à dire que ces questions de méthode ne troublent guère les esprits puisque l’évaluation des besoins n’engage en rien les décisions ou les décideurs politiques en la matière. L’obligation d’inclure dans les PLH3 une évaluation des besoins en logements reste sans portée réelle, ni opérationnelle. Les lois et règlements ne fixent d’ailleurs aucune obligation en matière de méthode, seuls la facilité et le poids des habitudes conduisent à opter de plus en plus souvent pour l’outil OTELO. Pourtant, dans l’hypothèse d’une vraie décentralisation de la politique du logement, option de plus en plus souvent caressée par les pouvoirs politiques, une évaluation territorialisée des besoins, sur la base d’une méthode unique au plan national, apparaît comme la première étape indispensable à la définition des objectifs et des moyens associés adaptés à la mise en œuvre d’une politique responsable. 

La troisième interrogation renvoie au caractère ou non substituable, en totalité ou plus vraisemblablement pour partie, entre logements neufs et logements vacants4. Le développement de ces derniers, assimilé à un immense gâchis, apparaît tout à la fois la conséquence d’une offre neuve débridée et par là-même trop abondante, mais aussi comme une alternative possible, voire souhaitable, à la construction. L’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 ne fait que renforcer cette idée qu’une utilisation plus optimale du parc existant permettrait tout à la fois de construire moins et de diminuer le rythme d’artificialisation des sols naturels. Limpide sur le papier, la pertinence de tels raisonnements se heurte aux faits. Les facteurs d’obsolescence d’une partie du parc découlent en premier chef de la localisation. Les logements vacants de « Partenia » ne seront jamais une alternative réaliste pour les demandeurs de logement en Île-de-France ou dans les grandes métropoles. Les préoccupations liées au changement climatique et au vieillissement de la population d’une part, les préférences et les attentes des ménages d’autre part vont dans le futur encore plus que présentement contribuer à l’obsolescence physique et/ou d’usage accélérée d’une grande fraction du parc. L’analyse des coûts et des contraintes diverses font que dans bien des cas l’option économique conduit à privilégier la démolition-reconstruction. Le maintien d’un haut niveau de construction neuve, alors même qu’il existe un parc vacant important et croissant, ne saurait donc s’assimiler à une situation de gâchis intolérable. Certes une partie des logements vacants peut être recyclable mais elle est, sans être nulle, quantitativement marginale (de l’ordre de 100 000 logements). Les volumes futurs en construction neuve (y compris les restructurations lourdes) resteront donc une constante durable du paysage immobilier français pour les décennies à venir. D’autant que la polarisation des revenus et la concentration des plus pauvres dans les métropoles imposent qu’une large fraction de ces besoins soit réalisée en secteur locatif social. Seule l’entrée dans un contexte de forte décroissance démographique parait en mesure de changer cette donne. Mais là encore des travaux approfondis sont à même de quantifier cette dimension des besoins.