Dispositif Pinel
Contexte
En près de 40 ans, plus d’une dizaine de dispositifs fiscaux de soutien à l’investissement locatif se sont succédé, voire superposés. Ces mesures en faveur de l’investissement locatif privé ont évolué, au cours de la période, pour s’adapter au contexte économique et social dans lequel ils s’inscrivent.
Toutefois, ils ont tous reposé sur un principe : relancer et promouvoir la construction de logements locatifs privés.
Selon l’institut national de la statistique et des études économiques (Insee), depuis le début des années 1980, le parc de logements s’est accru de 1,1 % par an en moyenne en France (hors Mayotte) pour atteindre 36,6 millions de logements au 1er janvier 2022 et ainsi répondre à une demande toujours plus importante des ménages, dont le nombre augmente et la taille diminue. La poursuite des phénomènes de décohabitation et de croissance démographique suggère que ce besoin devrait globalement continuer à s’accroître, notamment dans les grandes agglomérations.
Le dispositif Pinel entend promouvoir la construction et la rénovation de logements intermédiaires destinés aux ménages éprouvant des difficultés à se loger dans le secteur privé ou social, pour ceux qui y seraient éligibles.
Entré en vigueur à compter du 1er septembre 2014, il succède au dispositif dit « Duflot », dont il reprend les principaux critères. Il permet ainsi aux particuliers investissant dans des logements neufs ou à rénover, destinés à la location, de bénéficier d’une réduction de leur impôt sur le revenu, sous certaines conditions. Ces dernières ont connu, au cours de la période sous revue, des évolutions concernant la typologie des biens concernés, le zonage ou le taux de réduction fiscale, jusqu’aux annonces d’extinction du dispositif à la fin de l’année 2024.
L'objectif de la mission de la Cour
La présente évaluation vise à répondre à deux questions évaluatives :
1/ déterminer dans quelle mesure le dispositif Pinel répond aux objectifs de construction et de rénovation de logements de qualité dans les zones les plus tendues,
2/ apprécier si le dispositif bénéficie effectivement aux locataires visés. Elle intervient au terme de dix années de mise en oeuvre de cet avantage fiscal, à un moment clé où la fin de ce dispositif est annoncée dans un contexte de crise du logement.
Le dispositif Pinel ne remplit qu’imparfaitement les objectifs de construction et de rénovation de logements dans les zones tendues
Constat : Un dispositif avant tout destiné à permettre de la défiscalisation
Le dispositif Pinel, conçu pour stimuler l'investissement dans l'immobilier locatif, attire principalement des investisseurs aux revenus élevés (près de 70 % d’entre eux se situent dans le dernier décile), en quête d’un outil de défiscalisation.
Sur la période étudiée 2014-2021, le montant cumulé de défiscalisation s’est élevé à plus de 4,02 Md€. En 2023 ce montant est estimé à 7,3 Md€ et devrait continuer à croître jusqu’à la fin d’incidence budgétaire du dispositif en 2038, sans que l’administration ait été en mesure de présenter à la Cour un chiffrage exact ou les paramètres lui permettant de le faire.
Près de 244 000 déclarations fiscales dématérialisées concernant le dispositif Pinel ont été recensées par la Cour, mais leur nombre ne reflète pas la réalité du nombre de logements effectivement proposés à la location via ce dispositif. En effet, ni la direction générale des finances publiques (DGFiP), ni la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) ne sont en mesure de fournir un chiffre consolidé du nombre de logements construits ou rénovés grâce au dispositif (seuls les investisseurs sont recensés et ils sont parfois plusieurs à investir dans un même bien ou à avoir investi dans plusieurs biens).
En l’absence d’objectifs précis de construction ou de rénovation, le dispositif Pinel n’a manifestement pas été conçu pour mesurer l’augmentation de l'offre de logements locatifs intermédiaires alors qu’il s’agit de la raison d’être de cette défiscalisation. En outre, les données fiscales sur lesquelles pourraient se fonder ces analyses se sont révélées peu fiables, lacunaires et peu contrôlées. La conjonction de ces deux éléments entrave l'évaluation de l’impact réel du dispositif Pinel sur le marché immobilier et sur son apport à la résolution des difficultés de logement pour les populations ciblées.
Bien que sa performance soit difficile à mesurer précisément, le dispositif Pinel semble avoir eu un réel effet volume. Très peu utilisée dans le cadre de la rénovation de biens immobiliers, l’aide fiscale à l’investissement locatif Pinel a majoritairement concerné les logements acquis en vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Elle a ainsi largement contribué au déclenchement d’opérations immobilières qui n’auraient pu, ou moins rapidement, aboutir sans cette orientation de l’épargne des particuliers. Par ailleurs, la contrepartie de près de 40 ans d’incitation fiscale à l’investissement locatif a créé une forme de dépendance des promoteurs-constructeurs à ces dispositifs.
La question du zonage
Un zonage progressivement resserré, encore perfectible, pour permettre une meilleure orientation de l’épargne des particuliers vers les zones les plus tendues
Pour mieux cibler les territoires dans lesquels les besoins de logement sont les plus significatifs, le dispositif Pinel a peu à peu été recentré sur les zones les plus tendues (Abis, A et B1), où le déséquilibre entre l’offre et la demande de logements est le plus marqué. Toutefois, ce zonage, de niveau communal, ne permet pas de répondre finement aux besoins locaux de logements intermédiaires. En effet, sans connaissance de la décision finale des propriétaires investisseurs de recourir ou non au dispositif Pinel, les collectivités, pourtant chargées de concevoir la stratégie de programmation de l’habitation, ne sont pas en mesure d’identifier si les logements revêtiront in fine un caractère intermédiaire. Pour pallier cette difficulté et mieux cibler les territoires en tension, une expérimentation d’un zonage resserré est menée en Bretagne depuis 2020. Bien qu'elle ait encouragé la densification et la rénovation de l’habitat en centre-ville tout en limitant l'expansion urbaine en périphérie, cette approche n’est pas exempte de critiques : ouverture du dispositif dans les zones B2 et C (les moins tendues), défaut de lisibilité de ce nouveau zonage (par définition temporaire), etc..
En complément de cette révision du zonage, le dispositif a été recentré, depuis le 1er janvier 2021 sur les logements collectifs, afin de mieux répondre aux exigences de lutte contre l’artificialisation des sols.
Le dispositif Pinel répond temporairement aux besoins de logement des ménages qu’il vise
Une réponse plutôt efficace aux besoins de logement exprimés par les ménages modestes bénéficiaires
Principalement constitué de logements d’une surface moyenne de 57 m2 et d’une surface médiane de 53 m2, le parc de « logements Pinel » s’adresse majoritairement à des ménages composés d’une ou deux personnes, dont les revenus correspondent aux plafonds fixés. Ces derniers ne sont exigibles qu’au moment de l’entrée dans le logement. Il a été constaté qu’ils étaient de fait respectés, même si l’augmentation des ressources du foyer fiscal au cours de la période de location ne remet pas en cause la présence dans le logement de ces locataires durant la durée de leur bail.
Bien que le dispositif permette bien à des ménages plutôt modestes de se loger en zones tendues dans des logements qualitatifs, les plafonds de loyer fixés peuvent parfois correspondre au montant des loyers applicables dans le secteur privé et n’apparaissent de fait pas toujours fixés de façon pertinente.
Un dispositif qui ne contribue qu’à la constitution temporaire d’un parc de logements intermédiaires
Caractérisé par des durées d’engagement de location de six, neuf ou douze ans, le dispositif Pinel n’a pas vocation à composer un parc pérenne de logements intermédiaires. Logiquement, les propriétaires bailleurs sont en effet davantage disposés à vendre ou récupérer leur bien à l’issue de la période d’engagement (éventuellement prorogée) que de le maintenir en location sous un double plafond de revenus du locataire et de loyers encaissés. La revente du bien est d’ailleurs très souvent le principal moyen de rendre ce dispositif financièrement attractif pour l’investisseur.
Quelle est la suite dans un "contexte de crise" ?
En 2023, le Gouvernement a présenté un plan pour répondre à la crise du logement. Parmi les principales mesures de ce plan, figure l’extinction, au 31 décembre 2024, du dispositif Pinel, jugé inefficace et trop coûteux pour les finances publiques. Ces annonces n’ont pas été accompagnées de mesures précises quant aux alternatives envisagées. Tous les acteurs s’accordent toutefois pour estimer que le besoin en logements locatifs intermédiaires, entre l’habitat social et les logements du marché libre non régulé, reste une nécessité.
Sans les recenser de manière exhaustive, et en guise de recommandations pour le futur, la présente évaluation propose dans sa conclusion de tirer plusieurs enseignements utiles du dispositif Pinel.
Sans objectif chiffrés, ni données précises et fiables, il est difficile d’évaluer les conséquences du dispositif Pinel sur la construction ou la rénovation de logements. En outre, bien qu’il ait indéniablement orienté l'investissement des particuliers vers le secteur de la construction de logements intermédiaires en zone tendue, il n’est pas possible d’apprécier la part de logements qui n’auraient pas été construits sans avantage fiscal. Si son impact sur la construction demeure difficile à quantifier, les effets sur les ménages bénéficiaires sont, quant à eux, avérés. Le dispositif Pinel permet bien de faire entrer dans des logements de qualité des ménages éligibles, sans toutefois garantir la pérennité du statut intermédiaire du logement.
Préconisations de la Cour
L’évaluation n’avait pas comme objectif de développer une approche « coûts / avantages ». Pour autant, l’alternative au dispositif Pinel, envisagée par les pouvoirs publics, consiste à mobiliser les investisseurs institutionnels en lieu et place des particuliers. Que cette solution, ou une autre, soit retenue pour maintenir une politique publique en faveur des logements intermédiaires les enseignements de la présente évaluation appellent plusieurs préconisations de la Cour :
- assortir tout dispositif d’objectifs évaluables afin d’en permettre un pilotage quantitatif et financier jusqu’à la fin de son incidence budgétaire ;
- doter le, ou les, dispositifs d’outils de suivi et de procédures de contrôle fiables afin d’en garantir le contrôle ;
- impliquer directement les territoires dans le ciblage du zonage envisagés pour mieux l’adapter aux besoins, avec la prise en compte des objectifs du zéro artificialisation nette (ZAN) ;
- veiller à la cohérence entre les objectifs fixés par les objectifs de mixité de l’habitat et l’équilibre économique des opérations ;
- inscrire le statut locatif des logements intermédiaires dans un temps plus long en regard de l’avantage fiscal consenti par l’État. Ce maintien dans le parc locatif intermédiaire des logements ainsi aidés permettrait d’offrir un volume plus important de locations abordables dans l’équilibre du parc résidentiel.
Ces pistes d’améliorations ne sont pas exhaustives. Elles ont vocation à poser un cadre préalable à la mise en oeuvre de toute politique publique de création de logements intermédiaires.